La mer, intimement complice
J’ai toujours eu des relations ambiguës
avec la mer. Enfant, elle était la complice de mes jeux d’été :
rafraîchissante quand le sable me brûlait la plante des pieds et traître quand
elle me prenait dans ses rouleaux et me rejetait violemment sans souffle la
bouche pleine de sel sur le rivage.
Elle était le lien entre mon île natale et le continent, le
passage obligé que j’appréhendais en raison du désordre qu’elle provoquait dans
mon cœur. Petite, je l’admirais et la redoutais à la fois. Je saluais le
courage des pêcheurs qui la bravaient régulièrement car je savais qu’elle
pouvait décider un jour de les garder en son sein. J’admirais ceux qui la
traversaient d’un sens à l’autre et à l’inverse sans aucune raison
professionnelle. Quel courage !
Elle était ma confidente, celle qui
recueillait mes chagrins et mes joies. Je passais des heures, installée sur des
rochers, à regarder le spectacle de ses vagues calmes ou en colère, l’écume
blanche se répandant sur la terre. Je rêvais déjà timidement de lui confier ma
personne pour plus longtemps qu’un passage de l’île à la terre ferme, mais tout
en craignant ses humeurs impétueuses…
Devenue adulte, je me suis progressivement
éloignée d’elle. J’habitais au cœur des terres ; je ne la revoyais qu’aux
vacances. Elle ne me manquait pas, cependant j’étais toujours heureuse de la
retrouver. Mon nez me chatouillait à l’approche des côtes au parfum iodé. Puis
j’ai essayé de la retrouver partout où j’allais : sur les rives de la
République Dominicaine, à Charleston, la vieille dame américaine au passé tâché
d’esclavagisme, au Costa Rica où je pouvais la tromper avec le Pacifique. J’ai
décidé de sauter le pas et de réaliser mon rêve d’adolescence : passer
plusieurs jours sur son dos, faire la traversée de l’Atlantique.
Avant mon départ de mon île, je lui ai
parlé, je lui ai demandé d’être clémente avec moi. Elle l’a été ; seule la
perfide Méditerranée m’a gigoté. Mon cœur a fait plusieurs tours dans tous les
sens, mais passée le détroit de Gibraltar et l’entrée en son sein, notre
échange a commencé. Elle me berçait à longueur de journée, avec quelques
moments plus agités, car je ne devais pas croire non plus que je l’avais
domptée. Je me levais et me couchais au son de ses vagues contre la coque du bateau.
Je m’asseyais parfois à la proue et la regardais s’ouvrir généreusement au
voilier. Ce dernier glissait sur ses eaux, le bruissement provoqué me
réjouissait.
Elle m’a offert toutes ses nuances de bleu, son inséparable compagne nocturne, la voûte céleste, la caresse du vent sur ma peau et des soleils de tous les tons. J’ai été mariée avec les éléments chaque jour. J’ai vécu en communion avec la mer. Seules, elle et moi, face à face. Ce moment reste et restera gravé dans ma peau.
Après de longs jours d'échange intense entre nous deux, elle m'a accueillie dans ses eaux chaudes des Antilles. Je me suis plongée avec délice dans ses bras. Je n'avais plus peur d'elle, je la remerciais de sa générosité, je la respectais et l'aimais encore un peu plus.